- ESPAGNE - Les élections de 1993
- ESPAGNE - Les élections de 1993Espagne: la victoire de Felipe González aux élections de 1993Les élections législatives espagnoles ont lieu normalement tous les quatre ans. C’est donc en octobre 1993 que le scrutin aurait dû se tenir. Or, le 12 avril 1993, le président du gouvernement Felipe González annonce la dissolution du Parlement et l’organisation d’élections anticipées pour le 6 juin 1993.La cause essentielle de cette décision a été la crise interne qui secouait le Parti socialiste ouvrier espagnol (P.S.O.E.) au pouvoir, du fait de la division croissante entre le secteur dit “rénovateur”, qui s’identifiait à Felipe González, et celui qui avait pour chef Alfonso Guerra, vice-secrétaire général du P.S.O.E. et vice-président du gouvernement jusqu’au 12 janvier 1991. Alfonso Guerra avait un langage plus “à gauche” que Felipe González, mais sa mise à l’écart du gouvernement était due à des scandales financiers qui touchaient son frère Juan Guerra, ainsi qu’au financement du P.S.O.E. au moyen de sociétés liées à l’appareil du parti qu’il contrôle (alors que González s’occupait en priorité du gouvernement). À la suite de la démission de Guerra, les conflits entre les deux hommes et ceux qui les suivaient se sont développés, ternissant l’image du P.S.O.E. Les sondages qui précédèrent la dissolution indiquaient l’ascension du Parti populaire (P.P.), de centre droit, la crise économique contribuant aussi au déclin de la popularité de l’équipe au pouvoir.Pour stopper ce processus de dégradation et pour essayer de maintenir son parti au pouvoir, Felipe González a dissous le Parlement. Tout en perdant la majorité absolue, il est parvenu à conserver le pouvoir. Mais les tensions au sein du P.S.O.E. se sont aggravées et le parti a eu du mal à organiser autour de lui une majorité stable pour gouverner.Le succès de Felipe GonzálezPour la première fois depuis le succès du P.S.O.E. en 1982, les élections législatives étaient vraiment une compétition pour le pouvoir. Les sondages préélectoraux laissaient apparaître un résultat très serré entre le P.S.O.E. et le P.P. L’ascension de ce dernier, due à son rajeunissement et à son recentrage, lui permettait de capter de nombreux suffrages centristes. Le Centre démocratique et social (C.D.S.) apparaissait comme le grand perdant, ses électeurs allant vers le P.P. pour “voter utile” et le leader charismatique du C.D.S., l’ancien président du gouvernement Adolfo Suárez, s’étant retiré de la vie active. Toujours d’après les sondages, la Gauche unie (Izquierda Unida, I.U.), contrôlée par le Parti communiste espagnol (P.C.E.), voyait ses suffrages augmenter aux dépens du P.S.O.E.L’incertitude quant aux résultats était certes due à l’apparition du P.P. débarrassé de ses éléments les plus droitiers issus du franquisme et se présentant comme “centriste”, mais aussi à la perte de l’image d’honnêteté que s’était donnée le P.S.O.E. pendant longtemps et à l’existence d’un des taux de chômage (21 p. 100) les plus élevés d’Europe.La campagne électorale d’un P.S.O.E. menacé consista à centrer le débat sur deux thèmes: le maintien de Felipe González à la tête du gouvernement et le refus de l’arrivée au pouvoir d’un P.P. qu’on ne qualifiait plus de franquiste ou de fasciste, mais de représentant d’une droite traditionnelle espagnole autoritaire, antisociale et rétrograde, le tout par insinuations plutôt que par affirmations. La menace que le P.S.O.E. rencontrait sur sa gauche avec l’I.U. était combattue par l’appel au vote utile contre la droite; la Gauche unie a été desservie par ses querelles internes. Les éléments réformateurs — Cristina Almeyda, Nicolas Sartorius, Pablo Castellano — ont décidé de ne pas se présenter aux élections pour protester contre la mise à l’écart de nombreux membres de leur courant sur les listes de candidats. Le leader de l’I.U., Julio Anguita, paraissait trop radical et “communiste traditionnel” pour prendre des suffrages au P.S.O.E.Les sondages préélectoraux mettant quasi à égalité P.S.O.E. et P.P. montraient néanmoins que Felipe González demeurait plus populaire que José Maria Aznar. Ce dernier semblait trop inexpérimenté face à un Felipe González qui avait une image d’homme d’État. Par ailleurs, Felipe González, qui savait bien utiliser la télévision, avait de grandes capacités de communicateur, ce qui est moins net chez Aznar.La campagne du P.S.O.E. fut donc axée autour de son leader, qui parcourut toute l’Espagne en réunissant des auditoires importants: quarante mille personnes à Barcelone, trente mille à Valence, quinze mille à Saragosse. Bien qu’imposants, les auditoires rassemblés par Aznar n’atteignirent pas les mêmes chiffres.La télévision joua un rôle fondamental. Deux débats opposèrent les deux grands leaders, malgré les protestations des autres formations, les 24 et 31 mai, avec dix millions d’auditeurs pour le premier et douze millions pour le second. Si, de l’avis général, Aznar remporta le premier, González s’imposa lors du second, le plus regardé et le plus proche de l’élection. Ces deux duels contribuèrent à marginaliser les tiers partis, même les partis régionaux les plus solidement implantés.C’est dans un climat d’incertitude quant au résultat final qu’eut lieu l’élection le 6 juin. Cette incertitude a certainement contribué à réduire le taux d’abstention et à mobiliser les électeurs, mobilisation inattendue eu égard au discrédit de la classe politique. Il faut remonter à 1982, année de l’arrivée au pouvoir du P.S.O.E., pour trouver un taux d’abstention aussi faible.La participation électorale élevée dans une conjoncture politique, économique et sociale troublée est un indice de l’enracinement populaire de la démocratie espagnole. Sur 30 519 000 inscrits, 23 586 000 électeurs ont voté et 6 933 000 ont choisi l’abstention.Pour les élections au Sénat qui ont eu lieu le même jour, mais avec un mode de scrutin différent (chaque province élit quatre sénateurs et chaque électeur dispose de trois voix), le P.S.O.E. perd onze sièges par rapport à 1989 et le P.P. en gagne quinze.Par rapport au scrutin précédent, le P.S.O.E. s’est bien maintenu (à peine moins 1 p. 100 des voix), mais, perdant seize sièges de députés, il a dû chercher des appuis pour gouverner. Felipe González a été préféré à Aznar et le P.P. a été perçu par certains secteurs qui ont hésité jusqu’au dernier moment comme trop lié à l’ancienne droite et, surtout, susceptible de porter atteinte aux acquis sociaux qui seuls permettent de vivre ou de survivre en temps de crise et de chômage. Le P.P. a progressé fortement, de 26 p. 100 à 34,8 p. 100 des votes exprimés, mais presque uniquement au détriment du C.D.S. qui, lui, est passé de 7,95 p. 100 à 1,76 p. 100 et a perdu tous ses élus. Le P.P. a gagné aussi quelques voix régionalistes. Ces derniers ont reculé à peu près partout et n’ont pas été capables de s’opposer à la bipolarisation du scrutin.Le P.S.O.E. a bien résisté dans les campagnes, moins bien dans les banlieues et a reculé dans les villes. Le P.P. a été en tête à Madrid, Valence et Saragosse, les nationalistes catalans à Barcelone et les Basques à Bilbao. Parmi les villes de plus de cinq cent mille habitants, le P.S.O.E. n’a gagné que dans les cités andalouses de Séville et Malaga. L’affaiblissement du P.S.O.E. dans les villes, déjà entamé lors des précédents scrutins locaux et nationaux, s’est poursuivi. Il faut noter, curieusement, que le P.S.O.E. a obtenu ses meilleurs résultats dans les deux régions les plus touchées par le chômage (autour de 30 p. 100), l’Andalousie et l’Estrémadure, fiefs traditionnels du P.S.O.E.Les divergences au sein du P.S.O.E.Depuis 1979, le P.S.O.E. était un parti cohérent et discipliné où le scrutin majoritaire en vigueur pour élire les organes de direction marginalise les options dissidentes et minoritaires. Mené par le tandem Felipe González-Alfonso Guerra, le P.S.O.E. a toujours agi comme un parti unique, même lors des virages politiques aussi marqués que l’acceptation par les socialistes de l’adhésion à l’Alliance atlantique, matérialisée par le référendum de mars 1986.Mais l’élimination d’Alfonso Guerra du gouvernement a introduit au sommet du parti une division qui est allée en s’accentuant, malgré l’unité de façade imposée par le scrutin législatif.L’aggravation de la rivalité entre Felipe González et Alfonso Guerra est apparue quelques semaines après l’élection. Felipe González a proposé de désigner comme président du groupe parlementaire socialiste son ministre de l’Économie Carlos Solchaga, à la place du sortant Eduardo Martin Toval, partisan d’Alfonso Guerra. Le 25 juin 1993, la commission exécutive du P.S.O.E. acceptait cette proposition par quinze voix contre treize, et une abstention. L’importance de l’opposition à Felipe González montrait le poids d’Alfonso Guerra dans l’appareil, poids qui était certainement plus faible parmi les adhérents et surtout parmi les électeurs.Trois jours après, les députés du P.S.O.E. ratifiaient le choix de Carlos Solchaga par quatre-vingt-sept voix contre soixante-six à Martin Toval, la faction d’Alfonso Guerra ne s’inclinant toujours pas.Ces votes ont été suivis de nombreuses prises de position des partisans des deux hommes, et les derniers ministres “guerristes” ont été éliminés du nouveau gouvernement mis en place par Felipe González.À la recherche d’une majorité de gouvernementLe résultat conduisait à la formation d’une coalition, sinon gouvernementale, du moins parlementaire. L’alliance avec le P.P. était écartée, car elle n’était désirée par aucune des deux formations. Une coalition avec l’I.U. était théoriquement possible, mais l’écart entre les deux partis était trop grand si l’on considérait les politiques préconisées, et l’entrée des communistes au gouvernement aurait créé de nombreux problèmes à l’extérieur et à l’intérieur du pays.La solution la plus plausible était l’entente avec les nationalistes modérés catalans et basques (C.I.U. et P.N.V.). Le P.S.O.E. est traditionnellement plus ouvert aux revendications régionales que la droite espagnole, et ce malgré l’évolution du P.P. en matière d’autonomie. En outre, P.N.V. et P.S.O.E. gouvernent ensemble au Pays basque.Le P.S.O.E. entra donc en négociation avec C.I.U. et P.N.V. et leur proposa de former un gouvernement de coalition. Après avoir hésité, les deux partis refusèrent, à la fois pour ne pas endosser une politique économique et sociale nécessairement restrictive et pour garder leur image nationaliste auprès d’un électorat périodiquement mobilisé contre “Madrid” et ses hommes. Cependant, C.I.U. et P.N.V. acceptèrent de voter pour Felipe González comme président du gouvernement. En échange, les deux formations nationalistes au pouvoir en Catalogne et au Pays basque escomptaient un renforcement des compétences accordées à leurs régions. En particulier, les Catalans ont obtenu, en octobre 1993, que 15 p. 100 de l’impôt sur le revenu soit reversé aux régions.Le 9 juillet 1993, Felipe González était investi par 181 voix (159 du P.S.O.E., 17 du C.I.U., 5 du P.N.V.) contre 165 (tous les autres partis à l’exception du député nationaliste aragonais qui s’abstint).Durant la campagne électorale, Felipe González avait dit qu’il prendrait en considération les aspirations au changement qui s’exprimaient dans la société espagnole. La nouvelle équipe ministérielle comptait dix-huit membres, en y incluant son président. Huit étaient ministres pour la première fois et quatre étaient des femmes. Quatorze appartenaient au P.S.O.E. et quatre n’avaient pas d’appartenance partisane. Les trois ministres qui étaient proches d’Alfonso Guerra étaient éliminés, aucun des proches du vice-secrétaire général du P.S.O.E. ne figurant parmi les nouveaux titulaires.Au côté de Felipe González, les deux personnalités les plus importantes du gouvernement étaient le vice-président Narcis Serra, député P.S.O.E. de Barcelone, et le successeur de Carlos Solchaga au ministère de l’Économie et des Finances, Pedro Solbes, proche du P.S.O.E. mais non inscrit au parti.L’arène parlementaire allait retrouver son importance du fait de la nouvelle composition des chambres. P.N.V. et C.I.U., déjà au pouvoir dans deux régions clés de l’Espagne d’aujourd’hui, allaient être en mesure de peser de façon décisive sur la politique du gouvernement de Madrid.
Encyclopédie Universelle. 2012.